Le Parfum de l'Impératrice d'Orient (3ème partie)

4 - La manœuvre d’Irène

Par quel coup du sort le Prince Constantin, croyant choisir l’espiègle Chloé, la servante de l’apothicaire, se retrouvait fiancé à la douce Marie l’Arménienne ?

Plutôt que le sort, il faut y voir une manœuvre de sa mère, l’Impératrice Irène.

Jadis, lorsqu’elle était encore l’épouse de l’Empereur Léon IV, Irène était une jeune femme au caractère mesuré et aimable. Mais les années d’exercice du pouvoir l’avaient endurci : elle était devenue une redoutable femme politique, rusée, méfiante et manipulatrice. Etait-ce par goût du pouvoir et des honneurs, ou bien par sens du devoir sacré ; toujours est-il qu’Irène entendait bien conserver dans l’ombre les rênes de l’Empire lorsque son fils serait en age de gouverner. Tel un joueur de Shah Mat, elle calculait ses coups à l’avance et plaçait ses pions pour accomplir ses desseins.

Elle s’était résolu à organiser ce grand concours de beauté et de vertu après avoir échoué à obtenir la main de la fille du Roi franc Charlemagne pour son fils. Une occasion ratée d’une alliance entre les Empires d’Orient et d’Occident qui aurait peut-être changé la face du monde.

La manœuvre d’Irène était la suivante : lors de la phase des entretiens du grand concours, c’est elle qui sélectionnait les prétendantes et non Constantin, contrairement à ce qu’elle affirmait. Au travers des questions posées, elle retenait les prétendantes dotées d’un caractère faible et influençable, et éliminait celles chez qui elle décelait de l’ambition et de l’arrivisme.

Irène pensait qu’elle pourrait toujours tirer avantage à mettre dans le lit de son fils une femme influençable et manipulable, et que par ce moyen, elle garderai une emprise sur Constantin.

C’est donc la sélection d’Irène, et non celle de Constantin qui fut utilisée pour la deuxième phase du concours.

Toutefois, un élément qu’Irène ne pouvait prévoir l’avait aidé dans ses desseins : le parfum de l’Impératrice d’Orient. En effet, Constantin avait cru reconnaître la prétendante que son cœur avait élue grâce à ce parfum unique, mais en fait deux personnes différentes l’avaient successivement porté : Chloé lors des entretiens et Marie lors de la finale. On se souvient que Chloé avait confié le flacon de parfum à Marie avant de passer l’entretien. Or, les deux jeunes femmes ne se revirent pas par la suite ; Marie conserva le flacon. Poussée par la curiosité, la jeune arménienne ouvrit le flacon et fut envoûtée par la délicieuse fragrance qu’il contenait. Elle ne put résister à en déposer quelques gouttes à l’intérieur de ses poignets. On peut affirmer que ce charmant geste de coquetterie scella le destin de Marie d’Amnia.


Epilogue


Ainsi donc, le mariage de l’Empereur Constantin VI et de Marie d’Amnia fut célébré avec faste. Le couple impérial, par sa jeunesse et sa beauté était très populaire et admiré par les sujets de l’Empire. Mais cela n’était que la façade d’un édifice fissuré.

Constantin ne s’épris jamais de Marie, il avait rapidement compris la manœuvre de sa mère et délaissait son épouse. Pour l’infortunée Marie, le Palais Impérial était vite devenu une prison dorée où elle vivait solitaire malgré la cour et les honneurs. Elle mesurait avec amertume combien son rêve réalisé de mariage princier n’était qu’en fait un cruel mirage. Mais elle ignorait que ses malheurs étaient loin d’être terminés.

Quelques années plus tard, l’Empereur Constantin VI tomba éperdument amoureux d’une demoiselle d’honneur de sa mère, une magnifique jeune femme nommée Théodote. Pour pouvoir vivre cette passion amoureuse au grand jour, Constantin se résolu à se débarrasser de son épouse Marie. La pauvre Marie fut, de manière mensongère, accusée de complot contre l’Empereur, et d’avoir tenter de l’empoisonner. Elle fut répudiée, chassée du palais et cloîtrée dans un couvent éloigné jusqu’à la fin de ses jours.

Mais l’Empereur avait mal mesuré la popularité de son épouse, réputée pour sa douceur et sa sagesse. Le mensonge était sans doute trop gros, et une majorité des sujets de l’empire n’y cru point. La popularité de Constantin IV en fut ébranlée.

Quelques temps après, le mariage de Constantin VI et de Théodote fut célébré à Constantinople. Cette fois-ci, ce sont les puissants théologiens byzantins qui crièrent au scandale : les liens sacrés du mariage entre Constantin et Marie étaient nullement caducs et l’Empereur s’en trouvait bigame, un péché mortel selon l’orthodoxie en vigueur. Dieu continuerait-il d’accorder ses bienfaits et sa protection à un Empire dont le souverain lui-même vivait en situation de péché mortel ? Ce type de rhétorique catastrophiste fut largement diffusé par l’intermédiaire des moines dont l’influence était importante dans l’Empire. Le crédit et la popularité de Constantin VI dans le peuple et dans les institutions furent rapidement réduits à néant, et des tentatives de répression contre les monastères ne firent qu’aggraver les choses.

La fin du règne de Constantin VI était proche. Un complot le renversa et mis sur le trône impérial… sa mère Irène.

Mais que devint la jeune Chloé ?

Il se raconte que son maître Hypatios l’apothicaire la pris comme disciple et lui enseigna ses secrets de parfums et de fards. Les mois passèrent et Chloé tomba amoureuse d’Alexis, un beau jeune homme fort convoité, car il était le fils unique de l’un des plus riche marchand et armateur de Constantinople. Initiée aux secrets de beauté et de parfums, Chloé n’eut aucun mal à séduire le bel Alexis. Ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup de beaux et joyeux enfants.

FIN

Bonne et joyeuse année 2010 !

Commentaires

  1. Merci pour ce beau conte de fin d'année, Le Gnou!
    (vive les secrets de beauté et les parfums envoutants ! )
    Bonne et heureuse année 2010 à toi aussi!

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  2. Merci !
    Je te souhaite de découvrir plein de parfums envoutants et de secrets de beauté pour 2010 ;-)

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  3. Bonjour Monsieur Le Gnou!

    J'ai découvert votre blog très récemment par la lecture de ce conte parfumé. J'en ai fait profiter mon homme qui n'a certes pas ma passion des parfums mais qui a tout de même aimé cette belle histoire. Avez-vous d'autres contes parfumés à nous faire partager? Je suis friande de lectures traitant du parfum sous quelque forme que ce soit!

    Je vous souhaite une très belle année 2010! Qu'elle vous apporte de nombreuses surprises parfumées!

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  4. Bonjour Passionez

    Je suis ravi que ce conte vous ait plu. Je m'étais amusé à écrire ce petit conte autour du thème du parfum durant les congés de fin d'année, j'avais un peu plus de temps libre ; mais je n'en ai pas d'autres en réserve.
    (votre pseudonyme est astucieux !)

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