Des bêtes et un bois


Un fidèle lecteur de ce blog, Cédric, m'a fait parvenir quelques échantillons de matières premières naturelles rares, qui pourraient presque être qualifiées de légendaires.
Il va être question de deux matières animales, la pierre d'Afrique et le castoreum ; et d'un bois, l'oud.

La pierre d'Afrique
Parmi les bizarreries en ce qui concerne l'origine des matières premières de la parfumerie, la pierre d'Afrique (ou hyraceum) est sur les rangs pour recevoir une palme. On doit ce produit au daman des rochers, un petit mammifère social africain, vaguement semblable à une marmotte. En effet, les colonies de ce petit herbivore à l'aspect sympathique, ont la curieuse habitude d'utiliser des latrines. Tout les individus d'un même groupe vont faire leur besoins au même endroit. Au fils des siècles, leurs déjections se sont accumulées, solidifiées, formant des strates allant jusqu'à un mètre. C'est cette matière pétrifiée, vieille de plusieurs millénaires, qui est récolté pour constituer la pierre d'Afrique.

Testons cet échantillon d'absolue de pierre d'Afrique dilué à 10%.
C'est puissamment animal, fécal ! Ce sont les ménageries des cirques Pinder et Bouglione réunis qui vous passe sous le nez, les fauves, les éléphants, les ours, ils sont tous là, et ils ne sortent pas de la douche. Difficile d'évaluer des nuances dans cette matière, c'est du brutal !

Le castoreum
Quittons les rochers de la savane africaine pour rencontrer un animal beaucoup moins exotique. Il s'agit du castor, qui est quasiment un voisin, puisque certains, parait-il, vivent discrètement aux portes de Lyon. Le castoreum est une substance huileuse produite par des glandes abdominales de ce rongeur aquatique. Le castoreum permet au castor non seulement de marquer son territoire par sa puissante odeur, mais aussi d'imperméabiliser son pelage.

Examinons l'échantillon d'absolue de castoreum canadien dilué à 10%
Même si, au débouché du flacon, le castoreum reprend de manière moins brutale quelque aspects animaux de la pierre d'Afrique, son évolution est beaucoup plus nuancée. Je peux y sentir un cuir souple et chaud, du goudron de bois, de la fourrure et de la fumée, voire même une pointe d'huile d'olive « fruité noir ». Une matière très séduisante.


Le bois de oud
Bois l'aloès, bois d'agar, bois d'aigle, les termes ne manquent pas pour nommer ce que la parfumerie actuelle désigne généralement comme bois de oud. Dans un français plus ancien, on le nommait calambac, calambouc ou même calambour comme dans ces vers de Victor Hugo dans Ruy Blas :
« Bien. Vous allez partir de Madrid tout à l'heure,
Pour porter cette boîte en bois de calambour
à mon père, monsieur l'électeur de Neubourg ». 
Imaginez les titres de notre parfumerie alternative si cette dernière dénomination était restée : Al Calambour (L'Artisan Parfumeur), Arabian night Pure Calambour (by Killian), Calambour Royal (Armani privé), Midnight Calambour(Juliette Has a Gun) Calambour Intense (Comptoir Sud Pacifique). Cocasse !

Cette matière odorante est produite par des arbres des genres Aquilaria et Gyrinops qui croissent dans différents pays d'Asie du sud-est. C'est lorsque le bois de ces arbres est attaqué par certaines infections fongiques qu'il devient sombre, résineux et odorant. Ce sont ces portions de bois malade qui constituent le précieux bois de oud.

Examinons l'échantillon d'huile essentielle de bois de oud dilué à 10%
Je suis surpris par une physionomie plus animal que boisé au premier abord. C'est cuiré, vaguement fécal, peut-être légèrement ambré façon labdanum. Cet oud a vraiment sa propre personnalité, mais par certains aspects, il se rapproche assez des deux bestioles évoquées dans ce billet


Il est certain que l'odeur des trois matières décrites ici, si on les évalue selon nos critères de bon goût olfactif contemporain, serait rapidement qualifiées de désagréables, pour ne pas dire répugnantes. Ce sont pourtant des matières phares de l'histoire de la parfumerie, et leur pouvoir de fascination sur l'humanité n'est plus à démontrer. Toutes ces odeurs animales, fécales, phéromonales, de tanières, de peau de bêtes ont disparu de notre environnement quotidien ; et si elles tentent de s'y réintroduire, elles en sont vite chassées à coup de désodorisant. Toutefois, si l'on se place à l'échelle de l'histoire de l'humanité, il semble évident que ces odeurs accompagnent l'homme depuis la nuit des temps. Peut-être que ceci est encore gravé dans un recoin de notre cerveau ?

Illustration : Le bond du daman, le soir au fond de la savane
Remerciements à Cédric, parfumeur naturel amateur et herboriste.

Commentaires

  1. salut,
    je suis très heureux d'entendre parler de matières dont je suis amoureux, je fais surtout référence au castoréum, la pierre d'afrique connais pas,snif.Leur rejet aseptique fait qu'elle rentrent de moins en moins dans la palette du parfumeur actuel, ce qui constitue pour moi un appauvrissement.La richesse olfactive du castoréum est extraordinaire, heureusement beaucoup de gens continuent à aimer shalimar même s'ils n'apprécieraient pas la matière isolée, merci mr. Guerlain.
    Jean Moreno

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  2. Content que ça ait pu servir M Gnou ! :D

    @Jean Moreno : Il y a aussi tellement de mauvaises presse faite à ces matières animales...
    Que l'on arrache leurs glandes a des castors morts semble plus mal vu que d'envoyer des bœufs à hamburger à l'abattoir, allez savoir pourquoi.

    Et puis bien entendu il y a le coût ...et les enjeux économico-industriels. Les substituts synthétiques sont moins chers et à en croire l'industrie chimique et les directives qu'elle dicte à l'IFRA dans laquelle elle est abondamment impliquée, ils seraient même plus sûrs !

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  3. Personnellement, j'adore ces odeurs que je mélange avec des résines pour faire mes notes de fond. Ensuite, c'est une question d'équilibre surtout pour une profane comme
    moi !

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